Lettre royale adressée aux participants au colloque international sous le thème: "Louis Massignon et le Maroc: une Parole donnée

Rabat le 10/02/2006

Le Premier ministre, M. Driss Jettou, a donné lecture à la lettre royale adressée aux participants au colloque international, qui se tient sous le Haut patronage de SM le Roi Mohammed VI, sous le thème: "Louis Massignon et le Maroc: une Parole donnée".

Voici le texte intégral de la lettre royale:

"Il Nous est agréable de Nous adresser aux participants à ce colloque international consacré à Louis Massignon, qui fût sans conteste le grand Ami du Maroc et le fervent défenseur de toutes les justes causes humaines.

Vous avez bien voulu dédier vos travaux à cet illustre penseur du vingtième siècle, à partir de ce qui l'a si profondément attaché au Royaume, dans son riche itinéraire personnel, dans sa quête spirituelle de l'absolu, dans ses engagements politiques pour l'indépendance et la libération du Maroc, et plus précisément, au moment où Sa Majesté le Roi Mohammed V et la Famille Royale étaient injustement forcés à prendre le chemin de l'exil.

Louis Massignon s'est, en effet, illustré par ses prises de position courageuses pour défendre la légitimité. Il l'a fait seul ou avec d'autres hommes libres au sein du "Comité France-Maghreb", conscients qu'ils servaient la cause des droits de l'Homme, qu'ils manifestaient leur conviction religieuse chrétienne et leur esprit de résistance en faveur des peuples opprimés.

La célébration du cinquantième anniversaire du Retour d'Exil de feu Sa Majesté Mohammed V et de l'indépendance du Royaume à laquelle vous participez, est aussi et à juste titre, le moment propice pour l'évocation des valeurs spirituelles immuables qu'incarnait le noble combat que menaient concomitamment le Père de la Nation, pour son pays, dans la foi et dans la dignité et Louis Massignon au nom des mêmes valeurs.

Mesdames et Messieurs,

Il y a assurément dans la thématique choisie, toutes les promesses d'une fructueuse remise à jour d'un précieux filon de recherche en évoquant le riche héritage multidimensionnel de l'Homme qu'était Louis Massignon, de ce qu'a représenté le Maroc comme repère incontournable dans sa formation, dans sa quête spirituelle judéo-chrétienne à la rencontre de l'Islam, dans son illustre engagement politique en faveur des nobles causes, mû par l'esprit de résistance non violente et de dialogue et enfin dans ce qui fait l'actualité de Louis Massignon, ce montreur de conduite et véritable passeur entre les civilisations, à l'heure où dominent le monde de toutes les incertitudes.

Il vous appartiendra de révéler cette actualité des plus frappantes de la pensée du maître et de mesurer à sa juste valeur la portée la plus significative de sa quête de la réconciliation.

Notre pays, en tant que haut lieu chargé d'histoire, de sacré, de significations humaines plurielles, a représenté, sans nul doute, un repère privilégié dans l'itinéraire de Louis Massignon marqué par l'insatiable recherche de la spiritualité absolue. Ses écrits comme son action à propos du Maroc, notamment sa position nette et franche contre la déportation de Notre vénéré Grand-père et la Famille Royale, sont traversés de bout en bout, par sa conviction religieuse et son désir ardent de rencontrer l'autre.

Il l'énonçait, dans son projet de retour à une essence monothéiste commune, expérimentée par ses profondes stases mystiques, dont la figure d'Abraham était le point focal suprême et le leitmotiv central qui donnait du sens à la parole commune, généreuse et mutuellement donnée entre les descendants du patriarche, voire entre tous les êtres humains selon les valeurs de la sagesse universelle, telle l'attachement de Louis Massignon à l'éthique de la non-violence.

La dimension abrahamique de l'Islam et du dialogue continu qu'elle justifie à l'adresse des Gens du livre, Ahl al kitab, était une donnée centrale dans l' uvre prolifique de Louis Massignon. Elle constitue de ce fait, le fondement d'une pensée précieuse et féconde pour participer à la réanimation de toutes les espérances, sachant bien que l'effort exige l'impérieux "décentrement", selon sa propre formule, qui n'est pas simplement l'impératif individuel catégorique, mais un élan collectif et nécessairement compatible à l'échelle des Nations, des Etats et des Civilisations Humaines.

Aussi relève-t-il de l'obligation morale de redonner à Louis Massignon toute la place qui lui revient lorsque le Maroc vient à évoquer et à assumer pleinement son histoire contemporaine et que l'écriture de celle-ci bénéficie auprès des penseurs de la distanciation nécessaire.

Nous le disions le 16 Novembre dernier lorsque nous saluions "Ceux qui ont réconforté la famil1e royale dans son exil et l'ont aidé à supporter l'épreuve de la séparation et de l'éloignement, ainsi que ceux qui ont appuyé le combat de notre peuple et la légitimité du retour du Sultan Mohammed Ben Youssef à son trône. Ceux là, nous les considérons tous comme des Marocains, tant étaient sincères leur solidarité avec le peuple Marocain et leur sympathie pour son combat".

Nous sommes heureux aujourd'hui de réitérer cette assertion cordiale en pensant à Louis Massignon qui figure certainement en très bonne place parmi ceux-là, parmi les éminentes personnalités, notamment françaises, telles François Mauriac, Charles André Julien et d'autres qui n'ont ménagé aucun effort pour le Maroc, pour son Roi légitime et son peuple, par leur pensée féconde et par leur action déterminante.
 
Il vous appartiendra durant vos travaux, qu'illustre un programme scientifique varié et prometteur, de revisiter les hauts lieux de cette mémoire commune, de les éclairer davantage, de les enrichir, en en célébrant la réminiscence, dans ce qu'elle représente comme générosité -ce don de soi désintéressé- à laquelle nous incite ardemment le Saint Coran, et dans ce qu'elle exige comme engagement personnel noble pour l'entente perpétuelle et paisible avec son prochain.

Puissions-nous tous, à cette occasion, trouver le repère idoine précieux, dans une des évocations que dédiait feu Sa Majesté Mohammed V à l'adresse de Louis Massignon, en mars 1953, bien avant l'Exil, lorsque le futur Père du Maroc indépendant s'exprimait ainsi:

"A l'Ami de Notre Majesté, Monsieur le Professeur, qui a su s'imprégner, mieux que quiconque de l'âme musulmane et de la culture arabe, et prouver ainsi qu'Islam et Chrétienté peuvent s'unir pour le bien de toute l'Humanité".

Une telle dimension prémonitoire de feu Sa Majesté Mohammed V -que Dieu ait son âme en Sa Sainte Miséricorde- préfigurait l'esprit de "La Rencontre" que prônait Louis Massignon pour les enfants d'Abraham et celui, solidaire, qui l'unissait à notre pays et à ses valeurs sacrées et pérennes.

Louis Massignon, dans sa riche pensée et dans ce qui caractérisait sa personnalité exceptionnelle, a certainement trouvé dans celle de Sa Majesté feu Mohammed V toute la mesure vivante des figures emblématiques qu'il chérissait au plus profond de sa quête mystique: un Roi nourri aux valeurs de l'Islam Malékite, un héros idéal mû par le combat politique de résistance et de libération, mené au nom de ses valeurs et enfin, un pays béni et pétri par une histoire spirituelle millénaire.

Nous saluons donc la participation des chercheurs venus de tous les horizons de la pensée, réunis dans cette entreprise intellectuelle de grande importance organisée par l'Association des Amis de Louis Massignon et la Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc, pour mieux connaître notre histoire à travers l' uvre d'une illustre figure de la pensée, pour mieux contribuer à l'écrire, Sachant bien que le fait générationnel qu'a été le combat de Notre Vénéré Grand Père, a été aussi celui de personnalités appartenant à d'autres peuples amis.

Le thème choisi incite donc à une approche multidisciplinaire tant la richesse de l'héritage de Louis Massignon, venu à la rencontre de l'Islam et du Maroc, est incontestable et la portée de son message incommensurable.

Nous assurons votre colloque international de Notre entière Sollicitude et souhaitons plein succès à vos travaux.

Wassalamou alaykoum warahmatoullah wabarakatouh".